De par sa complexité et la noblesse des matériaux qui le compose, le piano est un instrument onéreux. L’importance de l’investissement peut expliquer l’exigence et la précaution qui doit être apportée à son choix.
Une fois que la volonté d’acquérir (ou de vendre) est présente, on peut vite avoir le vertige face au marché du neuf et de l’occasion.
Les considérations qui suivent n’ont pas prétention à être exhaustives, mais si elles peuvent servir de lanterne à certains pour s’y retrouver, ça sera mission accomplie !
Je traite dans cet article essentiellement des pianos droits, car ce sont ceux que l’on trouve en majorité sur le marché. Mais la plupart des considérations qui suivent sont applicables pour le piano à queue.
La première rencontre…
Si vous vous apprêtez à essayer un piano, je vous conseillerais de porter votre attention sur ces trois aspects :
– La sonorité :
L’évaluation du potentiel sonore de l’instrument est essentielle. Pourquoi acheter un piano plutôt qu’un autre ? L’un des critère sera bien entendu le son, ce qu’il nous évoque quand on le joue.
Au-delà de cette première écoute, il faut également évaluer son potentiel sonore. Par exemple, si un piano, malgré le plaisir au toucher, ne vous donne pas entière satisfaction à l’écoute, il est important de vérifier si l’état de certains éléments de la mécanique (notamment la quantité et la qualité du feutre sur les marteaux, mais pas uniquement…) est suffisamment bon pour permettre une correction du timbre, du son (par l’harmonisation notamment).
En tout état de cause, pour réellement juger de la qualité sonore d’un piano, il sera toujours préférable d’approcher le diapason de 440 Hz, et l’accorder. Si le diapason est très bas, il sera nécessaire d’opérer une ou plusieurs remises en tension.
Par ailleurs, porter une oreille attentive sur l’instrument peut permettre de révéler d’autres défauts: des grésillements ou des claquements (la source peut être un décollement des barres de table d’harmonie, ou un simple objet coincé…), des cordes basses oxydées, un défaut de charge de la table d’harmonie…
– La structure :
Une analyse de la structure du piano (table d’harmonie, barrage, plateau de clavier…) peut permettre de révéler des défauts qui rendraient nécessaires des opérations de rénovation très lourdes et très coûteuses.
Attention, certaines parties, je pense notamment au sommier (dans lequel les chevilles autours desquelles les cordes sont enroulées, sont fixées) ne sont pas directement visibles à l’œil nu. Des tests avec la clé d’accord peuvent permettre de laisser penser que le sommier est endommagé, mais ça ne représentera jamais une garantie. De même, le cadre en fonte cache certaines parties de la table d’harmonie.
L’autre élément qui a son importance pour beaucoup d’entre nous sera le meuble. Le piano est un instrument imposant qui prend une place considérable dans nos intérieurs… Je peux concevoir que son aspect esthétique soit également un critère déterminant de choix. A ce titre, il sera plus aisé pour un technicien d’analyser les défauts de meuble qui sont “réparables” ou qui peuvent être atténués, de ceux qui relèvent encore une fois d’opérations de restauration.
– La mécanique, le fonctionnement global :
Il convient d’analyser l’état de la mécanique (état des pièces…), son fonctionnement (état du réglage…), à travers les sensations de jeu, afin d’évaluer les éventuels besoins de remplacement de pièces, reprise de réglages…
Encore une fois, le toucher, la capacité à exprimer des nuances seront déterminés par la facture du piano, mais également son entretien, l’état de la mécanique (plus d’informations sur ce sujet dans la partie du site détaillant les prestations).
Tous ces éléments sont essentiels et déterminent le plaisir que vous aurez à jouer de votre instrument.
“L’habit ne fait pas le moine”…
Après cette première approche sonore, visuelle et tactile, il peut être opportun de s’intéresser à la marque du piano, qui vous renseignera sur sa qualité de fabrication, des matériaux qui le compose… Et à ce sujet, l’adage “l’habit ne fait pas le moine” est assurément le plus approprié…
Le début du 20ème siècle a été un bouleversement économique global. Le piano n’a pas échappé à cet ouragan, qui a emporté avec lui certaines factures, et laissé derrière lui un marché du piano nébuleux, dans lequel il est aujourd’hui difficile de s’y retrouver.
Laissez moi vous illustrer mes propos à travers cet exemple :
Prenons notre chère facture PLEYEL.
Fondée en 1807 par le musicien Ignace PLEYEL, instruments de prédilection d’un certain CHOPIN, qui ira jusqu’à écrire cette célèbre phrase : “Quand je me sens en verve et assez fort pour trouver mon propre son à moi, il me faut un piano Pleyel”. L’âge d’or de la marque s’achève en 1929, qui laisse place à une longue descente aux enfers qui entraînera la disparition de la firme et son rachat par ERARD-GAVEAU, deux firmes également victimes des années 30. Sans trop rentrer dans le détail, 10 ans après, la nouvelle marque GAVEAU-ERARD-PLEYEL arrêtera sa production de pianos. La marque PLEYEL sera rachetée par SCHIMMEL, manufacture allemande (ça se complique…), qui produira ses propres pianos sous l’effigie PLEYEL, et ce durant 25 ans. La marque sera ensuite rachetée par un milliardaire français en 1998, qui reprendra une production française à Alès en France, qui s’arrêtera quelques années après en 2007. Récemment, la marque a été rachetée par l’entreprise ALGAM, qui fait fabriquer ses pianos en Indonésie.
En résumé, la marque PLEYEL, n’est pas forcément synonyme de facture française selon la date de production de l’instrument.
L’histoire de PLEYEL n’est pas une exception sur le marché du piano. S’ il est vrai d’affirmer que les factures européennes, notamment allemandes, sont souvent qualitatives, il faut se méfier de certaines manufactures qui ont des consonances germaniques, mais sont en réalité issues du marché asiatique, ou des grandes manufactures originairement allemandes qui ont juste cédé leur “nom commercial” (exemple: FEURICH) à des entreprises chinoises…
En définitive, une “marque” n’est jamais un indicateur “sûr” de qualité de facture. Il faut parfois pousser la recherche plus loin, à l’aide, notamment, du numéro de série qui renseignera sur l’année de fabrication et donc sa localisation. En dernier recours, internet est votre ami et pourra vous renseigner sur quelques marques (attention aux sources cependant).
Afin de nous aider à y voir plus clair, il a par ailleurs été créé un certificat: « Bundesverband Klavier e.V. » (BVK) qui garantie une fabrication 100% européenne. Parmis les marques certifiées on trouve notamment : RONISCH, HAESSLER, AUGUST FORSTER, STEINGRAEBER UND SOHNE… Si le piano comporte ce certificat, ne vous posez pas de questions, c’est una facture européenne.
Etudier, s’exprimer ou les deux ?
C’est la taille du piano droit qui va déterminer sa classification de piano “d’étude” ou “d’expression”.
- Les pianos “d’étude” ont généralement une hauteur qui ne dépasse pas 1m20. Lorsqu’on mesure la hauteur d’un piano, on prend généralement la mesure de la distance allant du sol jusqu’au haut du meuble, tout simplement. J’aurai tendance à dire que cette mesure ne comprend pas la hauteur des roues si le piano est monté sur roue. Néanmoins, certains magasins mesure la distance partant du sol, comprenant les roues… Moins le piano est haut, moins les cordes sont longues, et donc, moins les basses seront rondes, profondes. Les médiums et les aigus n’auront pas la même richesse harmonique que des pianos plus hauts. Ils seront moins puissants également (ce qui peut être adapté à des volumes de pièces plus petits).
- Les pianos “d’expression” ont une hauteur qui dépasse 1m20. Comme leur nom l’indique, ils permettent de s’exprimer, et donc la qualité de leur facture permet de réaliser plus facilement des nuances. Les basses sont généralement plus généreuses, et l’ensemble du piano plus riche en harmoniques. Le piano est également plus puissant (prudence donc, un piano joué dans le showroom d’un magasin donnera souvent l’impression de sonner moins fort, car ne sera pas contre un mur, et sera dans une pièce qui peut être plus vaste que votre intérieur, ou ayant des propriétés acoustiques différentes). N’hésitez pas à jouer le piano fort pour vous rendre compte de sa projection !
Que votre choix se porte sur un piano d’expression ou un piano d’étude, veillez bien à vous projeter dans votre intérieur ! Les pièces qui composent votre maison ont des propriétés acoustiques, du fait des matériaux qui les constituent (carrelage au sol, vitres…). De ce fait, un piano qui vous plaira dans un magasin, ou chez un autre particulier, peut vous déplaire une fois chez vous, car finalement trop puissant, ou nécessiter des aménagements pour atténuer certaines fréquences acoustiques (installation d’un tapis sous le piano, harmonisation…)
Le choix parmi ces deux grandes familles doit se faire en fonction, essentiellement, de deux critères :
- le niveau de jeu : un pianiste confirmé se sentira plus rapidement frustré sur un piano d’étude sur lequel il ne sera pas en mesure de s’exprimer comme son niveau le lui permet. A l’inverse par contre, je ne déconseillerai jamais un piano d’expression à un débutant qui peut se permettre de se l’offrir. Il ne faut pas être un excellent pianiste, pour se faire plaisir sur un bel instrument…
- le budget : naturellement, votre budget va déterminer sur quel gamme de piano vous allez pouvoir vous diriger. Avec un budget inférieur à 5.000 euros par exemple, il sera compliqué de trouver un piano d’expression de bonne facture. Par contre vous pourrez trouver de très bon pianos d’étude d’occasion (un SCHIMMEL des années 80 par exemple) qui ont des basses et une richesse sonore qui viendraient presque se frotter aux premiers pianos d’expression…
Le juste prix
Lorsque vous cherchez votre futur piano, je conseillerai toujours d’aller en essayer un maximum, idéalement en se focalisant sur des pianos qui sont dans votre budget. Un vendeur, et c’est bien normal, c’est son métier, aura toujours tendance à vous faire monter en gamme. Si vous lui indiquez que vous avez un budget de 3000 euros, il essayera de vous faire grimper à 4000 euros en vous faisant écouter des pianos qui valent 7000 euros.
Le danger à écouter des pianos dans des gammes supérieures, c’est qu’il y a de forte chances que vous soyez séduit par le son, le toucher, l’esthétique… et lorsque vous reviendrez sur des gammes en dessous, vous aurez plus facilement tendance à focaliser sur les différences qui expliquent la divergence de prix : la qualité des basses, les harmoniques des médiums et des aigus, la qualité du réglage… bref, vous pourriez être déçu.
Ce que je peux vous conseiller en fonction de votre budget se résume ainsi :
- autour de 5.000 euros : privilégiez le marché des occasions, et notamment les factures européennes ou japonaises, tout en étant vigilant sur l’entretien de l’instrument (demandez si possible le carnet d’entretien ou les factures…). Les pianos neufs à ce budget sont fabriqués à moindre coût, avec des matériaux de moins bonne qualité. A éviter donc…
- pour des budgets supérieurs : il est possible de trouver des bons rapports qualité/prix sur le marché du neuf, mais également des bonnes occasions, en se focalisant uniquement sur le marché européen ou le haut de gamme japonais. MAIS ATTENTION : plus vous montez en budget sur les pianos d’occasion, plus votre exigence quant à l’entretien qu’il a reçu, sa restauration partielle ou complète doit être élevée ! Et les risques que le piano n’ait pas été entretenu de façon optimale sont réels…
En définitive…
Lorsque vous vous lancez à la recherche de votre futur piano, je conseillerai toujours de privilégier l’occasion pour les budgets modestes, avec toutes les précautions nécessaires (que vous vous adressiez à un particulier, ou un vendeur spécialisé). D’une façon générale dirigez vous de préférence vers la facture allemande, japonaise. Évitez le neuf bas de gamme. Si votre budget vous le permets, dirigez vous vers le neuf, la garantie fournie par le fabricant peut être un atout.
Sur le marché de l’occasion, littéralement tout est possible. La meilleure affaire, comme la pire.
Pour ces raisons, je conseillerai toujours un accompagnement par un technicien lorsque vous êtes vendeur pour optimiser l’instrument qui sera mis en vente (un piano accordé au diapason et bien réglé est toujours plus vendeur) et le mettre en vente au prix le plus juste possible. Je conseillerai également un accompagnement de l’acheteur pour s’assurer que l’instrument est en bon état, vendu à son juste prix…
Faire expertiser un piano par un technicien permet d’éviter un surcoût qui pourrait être lié à des travaux supplémentaires de remise en état, ou dans le pire des scénarios, l’achat d’un instrument qui s’avère non jouable… De plus, il vous aidera à évaluer le potentiel de l’instrument et à chiffrer les travaux qui permettront de le révéler.